Marqueurs somatiques

Les marqueurs somatiques sont des traces somatiques des expériences passées ayant eu un impact émotif important, que ce soit positif ou négatif.                                                                                                                                    
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Jusqu’à la fin des années quatre-vingt, les théories cognitives ne prenaient pas en compte l’affect comme une composante nécessaire de l’activité mentale, tandis que dans le domaine de la psychanalyse l’af ect a toujours occupé une place importante. À partir des années nonante, les travaux d’Antonio Damasio vont montrer que les émotions jouent un rôle aussi important que la sphère cognitive dans la prise de décision. À travers des observations directes — comme Elliott (1) — ou indirectes — comme Phineas Gage qui vécut au XIXe ?siècle (2) —, Antonio Damasio démontre que des lésions localisées dans des zones spécifiques du cerveau humain, en particulier le cortex orbitofrontal, compromettent la capacité à éprouver des émotions et la prise de décision dans la vie quotidienne, tout en laissant un fonctionnement intellectuel normal (Q.I. normal). Ainsi, bien que ces patients continuent à posséder et utiliser les fonctions cognitives qu’ils avaient avant la lésion, dorénavant ils prennent souvent des décisions irrationnelles qui vont à l’encontre de leurs propres avantages et intérêts. À partir de ces données cliniques, Antonio Damasio propose l’hypothèse selon laquelle le cortex orbitofrontal, où se constitue un raisonnement, reçoit des signaux des centres émotionnels qui envoient des informations nécessaires pour le bon aboutissement du raisonnement. Dans les cas cliniques où s’est produite une lésion, les liaisons entre le cortex orbitofrontal et les zones où siègent les centres émotionnels sont compromises. Lorsque le raisonnement se déploie, il y aurait des filtres qui permettent de supprimer des solutions non pertinentes ou avantageuses. Antonio Damasio appelle ces filtres marqueurs somatiques  qui sont des traces biologiques de nos expériences passées et qui ont comme fonction d’associer à chaque expérience une réaction corporelle distincte, positive (expérience de plaisir) ou négative (expérience de déplaisir). Grâce à ces empreintes biologiques, le cerveau peut écarter certains scénarios d’action, en sélectionner d’autres et opérer des choix qui dépassent en rapidité, économie et efficacité les processus d’évaluation rationnelle.                                                                                                                                   
Ainsi, au cours des dix dernières années, Antonio Damasio réactualise une conception du psychologue William James selon laquelle la perception d’un stimulus externe provoque, d’une part, l’activation du système de la perception sensorielle concerné et, d’autre part, d’une réponse somatique. Cette conception de William James qui exprime l’idée qu’à toute perception est associé un état somatique est reprise donc par Antonio Damasio avec les marqueurs somatiques, ou marqueurs de l’état du corps, qui génèrent l’évocation de souvenirs suivie par la résurgence de sensations liées à des états du corps. D’après les travaux d’Antonio Damasio et de Joseph LeDoux, les systèmes neuronaux concernés dans cette association entre souvenir et états du corps sont l’amygdale, une structure cérébrale située à la face interne du cortex temporal, et de l’insula, localisée dans le cortex somato-sensoriel pariétal.  À travers certaines observations, Antonio Damasio a également constaté que les marqueurs somatiques agissent d’une manière inconsciente au cours d’une prise de décision. Il a effectué une expérience en compagnie d’un homme qui, ayant perdu sa mémoire, oublie instantanément ce qu’il a fait ou ce qu’il a vu. Cependant, malgré ce handicap, il a pu constater que cette personne pouvait encore choisir les personnes avec lesquelles il a du plaisir à rester et éviter celles avec qui il ne s’entend pas. Ici, il y aurait donc une forme de mémoire inconsciente étant donné que les marqueurs somatiques qui relient des émotions positives ou négatives avec les personnes rencontrées permettent au patient de reconnaître les personnes   amies  ou ennemies  sans l’appui d’une mémoire consciente.                                                                                                                                   
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Les marqueurs somatiques évoquent plusieurs notions amenées et soutenues par la psychanalyse :

François Ansermet et Pierre Magistretti (2004) proposent un rapprochement entre la théorie des marqueurs somatiques et l’inconscient freudien. Il y aurait pour les deux des associations qui s’établissent entre des traces mnésiques et des états somatiques, que Damasio nomme marqueurs somatiques. En termes psychanalytiques, nous avons d’un côté une représentation et d’un autre côté un quantum d’affect. La pulsion se constitue dans l’intersection entre le psychique et le somatique, entre l’association d’une trace mnésique et un marqueur somatique. Pour Antonio Damasio, une action se produit sous l’influence d’une réactivation d’une expérience passée, et donc de représentations, auxquelles sont associés des marqueurs somatiques. Pour Freud, une action se produit sous l’influence d’une décharge psychique résultant d’une tension entre la trace et l’état somatique.             
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1. Elliot est un patient qui avait été opéré dans la zone centrale du lobe préfrontal, à la suite d’une tumeur bénigne. Avant l’opération, cet homme vivait une vie normale et réussissait assez bien dans ses affaires. Après l’opération, bien que techniquement réussie, des changements importants se produisent dans sa vie. Ses performances au travail diminuent jusqu’à lui causer la perte de son emploi. Il commence à vivre une situation financière difficile. Sa vie privée subit aussi une dégradation : il divorce d’une première épouse, se remarie et divorce de nouveau. Les tests neuropsychologiques standards ne révélaient aucune pathologie majeure, car ses facultés perceptives, sa mémoire, ses capacités d’apprentissage, ses aptitudes linguistiques et mathématiques apparaissaient intactes. Les problèmes rencontrés par Elliot concernaient sa capacité à résoudre les problèmes de la vie quotidienne.

Bibliographie :                                                                                                                                      
Ansermet F., Magistretti P. (2004), À chacun son cerveau. Plasticité neuronale et inconscient, Odile Jacob.                                                                                                                
Bryan Kolb B., Whishaw I. Q. (2001), Cerveau et comportement, De Boeck Université, 2002.                                                                                                                                                        
Damasio A. R. (1994), L’Erreur de Descartes : la raison des émotions, Odile Jacob, 1995. Lechevalier B., Eustache F., Viader F. et Collectif (2008), Traité de neuropsychologie clinique : Neurosciences cognitives et cliniques de l’adulte, De Boeck.

Compléments :                       
                                                                                                           
Affect, Amygdale, Ansermet François, Damasio Antonio, Décision, Insula (ou Cortex insulaire), James William, Magistretti Pierre, Pulsion
 

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